"Après avoir exposé les principales chartes régissant les rapports des gentilshommes verriers entre eux et les
pouvoirs publics, il nous faut étudier quelles sont les principales familles qui ont habité la
région Moussanaise. Nous
ne prétendons pas faire une étude généalogique complète pour chacune (sauf pour la famille
de Riols), mais nous
indiquerons
les alliances, les rapports et les descendances de chacune de ces familles.
Les alliances entre les familles de verriers étaient fort nombreuses, et souvent elles s'enchevêtrent et elles rendent
très difficiles les recherches sur les filiations.
Pour la famille de Robert, par exemple, une série d'alliances enchevêtrent les diverses
branches, et il est malaisé de découvrir la branche principale.
Parmi les principales familles de gentilshommes verriers de Moussans, il nous faut citer les
Almoy, les Bertin, les
Colom, les Robert, les Grenier, et enfin les Riols, sur lesquels nous ferons une étude plus détaillée.
Tous appartiennent à cette race de verriers, qui tiraient leurs moyens d'existence de l'exercice de leur métier pendant
une partie de l'année, pendant la "campagne" que duraient les fours.
Les ressources ainsi amassées leur permettaient ensuite de vivre noblement selon l'expression de l'époque, soit
en cultivant leurs terres, soit en s'adonnant aux plaisirs de la chasse.
Le métier de verrier, par suite des privilèges qui s'y rattachaient et surtout par suite de la noblesse préalable de ceux
qui l'exerçaient était plutôt considéré comme un art.
Nous verrons par la suit que des gentilshommes verriers avaient peu à peu formé une caste à part, jalouse de ses secrets
de fabrication, des ses prérogatives et de ses alliances. Ils n'admettaient pas d'intrus parmi eux, quand bien même
ceux-ci leur auraient apporté les capitaux dont ils manquaient pour étendre leur industrie ; du reste, le juge
conservateur de Sommières était là pour rappeler les règlements aux défaillants.
Nous avons vu dans l'introduction,
que pour être verrier, il fallait d'abord être d'origine noble, et que ce n'était pas le métier qui conférait la noblesse.
Les rapports des verriers étaient caractérisés par une grande solidarité : les pauvres étaient secourus par ceux ayant
une situation aisée, et ceux-ci les considéraient avec juste raison comme leurs égaux.
Ces excellents rapports étaient consolidés par leur vie en commun, à la table du maître verrier, et là se projetaient
les alliances entre personnes d'âges semblables. Comme nous le verrons par la suite, la vie était patriarcale, et
l'autorité du chef de famille seule reconnue.
La descendance était nombreuse, et il n'était pas rare de voir des familles de huit, dix et douze enfants.
Ceux-ci, dès qu'ils étaient "hors de page" continuaient le métier du père, et les idées traditionnelles se perpétuaient
ainsi.
Au moment des successions, l'aîné avait une part prépondérante car moralement et physiquement, il était le plus apte, parmi ses frères puînés à diriger ou à continuer le métier de son père. Il ne faut pas croire que l'aîné avait tout et les autres rien ; c'est une idée répandue dans quelques manuels d'histoire abrégée et qui est complètement fausse. L'aîné avait quelques avantages, mais il ne les avait pas tous : le droit d'aînesse était moins absolu que ce que l'on croie.
Bien vite l'octroi des verreries forestières devint patrimonial, et sa conséquence directe est l'hérédité.
A l'origine du droit féodal, le droit d'aînesse était commandé par l'indivisibilité du fief, qui morcelé
n'eût plus pourvu à l'entretien et l'équipement du vassal.
Le château de Moussans, aujoud'hui
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Le droit d'aînesse, dit Esmein, s'établit dans l'intérêt du seigneur, pour assurer l'indivisibilité du fief,
non pas dans l'intérêt du vassal et de son fils aîné pour assurer à celui-ci un avantage sur ses frères".
Quand le vassal laissait plusieurs fiefs et plusieurs enfants, on répartissait les fiefs, un par enfant et tant
qu'il y en avait, en suivant le rang d'âge dans la distribution ; l'aîné avait seulement l'avantage d'être loti
le premier et le choix du meilleur fief.
Il n'est pas inutile de développer un peu cette idée du droit d'aînesse, car on verra au cours de notre étude que
ce principe fut admis pour les verreries concédées.
Rares sont les coutumes qui maintinrent un droit d'aînesse absolu, tempéré le plus souvent par un usufruit accordé
aux puînés. Ce fut généralement l'admission assurée des puînés et des filles qui l'emporta, la coutume assurait seule à l'aîné une part plus forte, un préciput. Les puînés et les filles avaient un "quintement", "un tiercement".
Quand il y avait un seul fief, avant d'abroger le principe de l'indivisibilité héréditaire, on le tourna, par le moyen de la tenure, en parage ou frérage. L'aîné seul et pour la totalité du fief venait à l'hommage du seigneur, comme s'il n'y avait eu aucun partage : les puînés et les sœurs tenaient leurs parts du frère aîné. Ce rapport entre la branche aînée et les branches cadettes pouvait se prolonger longtemps, jusqu'à l'extinction de la parenté canonique, c'est à dire jusqu'au septième degré.
De concessions en concessions, l'idée du partage fut peu à peu admise.
Borne armoriée limitant les propriétés des Riols
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Le droit d'aînesse, bien avant cette évolution, fut entamé par des pratiques testamentaires ou coutumières, cherchant à concilier l'intérêt du suzerain et celui des puînés.
L'aîné représentait seul le fief vis-à-vis du suzerain, il était le "miroir du fief". Dans le Midi, le droit d'aînesse
ne fut introduit que tardivement, par quelques coutumes. Souvent, les héritiers restaient dans l'indivision pendant
plusieurs générations : ils avaient une administration à frais communs, et les profits étaient partagés proportionnellement
à leurs droits. Au point de vue testamentaire, les fiefs furent soumis en général aux règles concernant les acquêts et
les propres.
Les aliénations entre vifs, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, nécessitèrent selon certaines coutumes le
consentement du suzerain, sous peine de commise.
L'aliénation fut d'abord permise en faveur des descendants et des collatéraux, comme simple renonciation anticipée en
leur faveur. Dans le Midi, les coseigneurs avaient, sur leur part de celui qui aliénait un droit de préemption. Peu à
peu, de militaire, la féodalité tendait à devenir économique. Nous verrons souvent, dans les divers actes de vente
relatifs aux verreries, les transmissions s'opérer entre parents mâles, à l'exclusion des femmes, qui touchaient leurs
droits en argent."
Francis de Riols de Fonclare |