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Sans vouloir reproduire les diverses théories sur l'origine des gentilshommes verriers, nous tenons à résumer les plus
importantes, et à reproduire les principaux textes qui ont établi leur statut dans notre droit ;
Nous parlerons également des institutions de Sommières, qui régissaient toutes les verreries du Languedoc, et nous exposerons finalement les différences entre les verreries du Languedoc et les verreries de Normandie.
C'est une erreur populaire de croire que le métier de verrier donnait la noblesse avec les privilèges qui s'y rapportaient ;
L'art du verre permettait seulement de ne pas déroger. Le métier de laboureur également ainsi que celui de marchand de vin
(en Guyenne) conservaient la qualité de noble à ceux qui les exerçaient.
Jamais le métier de verrier n'a donné la noblesse, ni ne l'a même supposé nécessairement. C'était un monopole
exercé par un petit nombre de familles, sinon en droit, du moins en fait. Il fallait solliciter du souverain des lettres
de dispense pour ne pas encourir la dérogeance.
Gentilshommes-verriers au travail
"C'est une erreur populaire et grossière, écrit M. de Laroque, de croire que les verriers soient nobles, en vertu de leur exercice. "
Un autre auteur, A. Chéruel, dit : "Il n'y avait pas non plus dérogeance pour les gentilshommes verriers maintenus dans leur qualité d'écuyer par arrêts de la Cour des Aides de 1582 et 1597".
Il n'existait pas de noblesse de verre, comme il existait une noblesse de robe ou une noblesse d'épée. Les gentilshommes verriers étaient verriers parce qu'ils étaient nobles et non nobles, parce qu'ils étaient verriers.
Edouard Garnier résume cette controverse en disant : " Pour faire un gentilhomme verrier, il fallait d'abord prendre un gentilhomme".
Les règlements de Sommières spécifiaient bien que nul ne pouvait exercer l'art et la science de verrerie, s'il
n'était noble, et procréé de noble génération.
Un maître de verrerie ne pouvait recevoir aucun verrier sans s'être informé, au préalable, s'il était de la qualité requise.
Cette condition est formellement exigée dans la charte des privilèges octroyés l'an mil quatre cens quarante cinq par
Charles Septième, Roy de France, aux verriers du Languedoc.
Nous reproduirons, plus loin, les dispositions de ladite charte, car c'est véritablement celle qui trace les
institutions de Sommières.
Un travail manuel sans dérogeance
M. A. Esmein, dans "L'histoire du Droit français", dit : "les emplois qui entraînaient la dérogeance étaient fort
nombreux; c'étaient principalement les métiers manuels et les arts mécaniques (sauf la profession de verrier), le commerce
(sauf le commerce maritime) et certaines professions auxiliaires de la justice, comme celle de sergent et de procureur" .
Une autre opinion autorisée dit :" … une autre erreur est que les verriers sont nobles en vertu de l'exercice de leur art; La vérité est que cet exercice ne déroge pas à la noblesse de race bien et dûment justifiée" .
Longtemps, les gentilshommes verriers furent en butte aux sarcasmes et aux railleries des autres gentilshommes.
Etait-ce parce que leur métier était manuel et salissant souvent peu rémunérateur, les obligeant à avoir une tenue un peu
négligée ? Mais d'où venait cet état de quasi-pauvreté ; c'est qu'à l'origine les ancêtres de la plupart de ces
gentilshommes avaient vendu leurs seigneuries, pour suivre le roi Saint-Louis, à la croisade contre les Infidèles .
Cette guerre leur fut particulièrement cruelle et c'est à Louis IX, au service duquel ils s'étaient dévoués corps et biens,
qu'ils durent, après la perte de leur fortune, les privilèges attachés à la condition de verrier . L'ancienneté de cette
origine était fréquemment rappelée aux discours d'ouverture des Assemblées tenues à Sommières, devant le gouverneur viguier.
Dans le procès-verbal de l'Assemblée générale des gentilshommes verriers tenue à Sommières, le 7 octobre 1753,
sous la présidence du vicomte de Narbonne-Pelet, juge conservateur né des privilèges en sa qualité de capitaine-viguier
et de gouverneur de la ville, nous lisons le discours du syndic Jean de Robert-Montauriol.
"Je représente ici Monsieur, avec ces Messieurs qui m'assistent un corps considérable de noblesse et, je
puis le dire, d'une noblesse très ancienne, qui vient aujourd'hui réclamer votre justice.
Nos ancêtres embrassèrent avec zèle les intérêts de l'Etat et après un long et pénible service pendant les guerres les
plus sanglantes sous le règne de Saint-Louis, y perdirent leurs biens et leurs vies . Ce monarque généreux, touché de
l'état de leurs familles désolées, ne voulant pas les confondre avec les roturiers leur donna le privilège d'exercer l'art
et science de verrerie, sans déroger, exempta leurs ouvrages et les matières servant à les composer de tous les droits qui
se perçoivent sur les denrées et les marchandises, et les mit sous une autorité souveraine .
Ces privilèges qui nous appartiennent ont été successivement confirmés par tous nos rois, et par Louis Quinzième,
heureusement régnant . Déchus de l'état brillant de nos illustres guerriers, nous en conservons les sentiments et le
désir ardent de les imiter.
Notre principale attention à l'exemple de ceux qui nous ont précédés, est d'éviter la dérogeance et qu'aucun roturier
ne se mêle parmi nous et ne s'ingère dans l'art que nous exerçons .
Nos pères ont, dans cette vue fait des règlements, il les ont renouvellez dans les Assemblées générales tenues devant leurs conservateurs et sous leur autorité : nous venons à celle-ci imiter leur exemple et, par un bonheur marqué, nous nous trouvons aujourd'hui sous la vôtre, dont nous ressentons tout l'avantage.
Nous connaissons, Monsieur, l'ancienneté de votre illustre maison et de vos alliances, vos emplois énumérés au service de notre souverain, et votre mérite personnel, je n'ose à mon âge en entreprendre les éloges, mes expressions seraient trop faibles, mais la voie publique les annonce partout.
Vous êtes, Monsieur, notre chef, notre protecteur, notre conservateur, notre juge, nous espérons tout de votre bonté, de la sagesse, de l'intégrité et de la sévérité de vos jugements pour réprimer les abus et punir les entreprises.
Nous avons et nous aurons toujours pour vous, Monsieur et pour tout ce qui vous appartient un respect infini, une
parfaite soumission à vos ordonnances, nous vous demandons l'honneur de votre protection et nous tâcherons de la
mériter …"
N'oublions pas de mentionner l'épigramme de Maynard, contre le poète Saint-Amand, dont le père était gentilhomme verrier :
"Votre noblesse est mince
Car ce n'est pas d'un prince,
Daphnis, que vous sortez;
Gentilhomme de verre
Si vous tombez à terre,
Adieu vos qualités."
Constatons que Maynard n'était pas bien renseigné sur ceux qu'il criblait de ses sarcasmes : la raillerie n'est pas signe d'esprit si elle s'appuie sur des inexactitudes.
Francis de Riols de Fonclare |