Après un an d'existence, l'expérience du "kibboutz de Pardailhan" entre dans de grandes difficultés, comme le relate cet article du Monde, du 8 mars 1961.
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Montpellier, le 7 mars. - Il y a un an déjà : un matin de mars 1960, un groupe de quatre-vingts personnes venant de Paris débarquait à Pardailhan, petit village héraultais entre
Saint-Pons et
Saint-Chinian, pour y fonder
un "kibboutz", le premier de France, et, aujourd'hui encore, le seul.
Un an. Est-ce assez pour Juger une expérience dont la presse a déjà beaucoup parlé et à laquelle la télévision a consacré une émission.
En arrivant dans le village, les Parisiens trouvaient une population compréhensive et serviable, avec cette pointe de curiosité et de réserve à la fois que conserve en tous pays le paysan, dont la vie a la lenteur et la sagesse du temps. Ils trouvaient aussi un village non pas moribond, mais saigné par la guerre et le départ de nombre de ses fils. Ils trouvaient enfin ce qu'ils étaient venus chercher : quelque trois cents hectares de terre, dont un peu plus du tiers pouvait être rendu à la culture ; mais il fallait le défricher.
Trop de hâte et une nature hostile
Il apparaît aujourd'hui que pour entreprendre cette tâche le "kibboutz" s'était à l'époque
un peu trop hâtivement équipé. Le matériel, quoique de bonne qualité, n'a pas toujours
répondu au rôle exact qu'on attendait de lui, parce qu'il manquait d'efficacité ou parce
qu'il n'était pas employé au maximum de son rendement.
A ces erreurs humaines, qui ont coûté cher, est venue s'ajouter
la résistance de la nature. Installé au printemps, le kibboutz perdit du temps
à attendre son matériel et ne commença ses semailles qu'avec un retard assez important.
Aussi la récolte fut-elle mauvaise. L'avenir est sombre, car pour acheter le grain et
semer cette année, il faudra emprunter, le travail de défrichage est d'ailleurs loin d'être
terminé, mais on ne saurait en faire grief au "kibboutz" puisqu'une partie des terres
cultivables de Paidailhan était restée à l'abandon depuis dix, vingt ou même trente
années, en proie aux herbes mortes et aux genêts, donnant naissance à la lande.
A la recherche d'activités nouvelles.
Pour parer au plus pressé une partie de la main-d'œuvre du "kibboutz" se détourna de
l'objectif prévu, et abandonna la terre, se consacrant à des travaux de confection et à
la construction d'objets en fer utilitaires ou décoratifs. Faute de débouchés convenables,
le fer fut vite abandonné; la confection ne l'a pas été mais elle n'atteint pas le niveau
d'un travail artisanal rationnel. Si bien que les membres du "kibboutz" paraissent
vouloir tâter à la représentation. Encore faut-il trouver un industriel que cela
intéresse.
Enfin, s'ajoutant aux déboires, les allocations familiales, par suite de difficultés
administratives (aujourd'hui sur le point d'être aplanies), ne sont pas encore réglées.
Que le moral, dans ces conditions, soit atteint, qui s'en étonnerait ? Mais la foi demeure.
A Pardailhan on est formel : le "kibboutz" continue, l'équipe dirigeante, qui a été
en partie remaniée, a l'espoir, après avoir trouvé les ressources nécessaires pour
surmonter la période actuelle, de revenir intégralement à son but primitif :
l'exploitation de la terre.
Mieux que dans les paroles, dans le travail artisanal ou agricole, ou dans
l'installation des maisons rebâties, la preuve de cette vitalité se trouve à l'école.
On y attend un second instituteur, et deux enfants, nés à Pardailhan, se sont joints à
la rentrée dernière à ceux des nouveaux venus.
En dépit des difficultés, l'expérience n'est pas considérée comme un échec,
et chaque matin les hommes du "kibboutz" persistent à ouvrir leurs mains sur
une vieille terre burinée par le soleil, ravinée par les pluies, taillée à vit par le roc.
Roger Becriaux
Le Monde, le 8 mars 1961
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