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Saint-Chinian : de l'abbaye au village viticole
Le petit bourg de Saint-Chinian en Occitanie est situé dans
la vallée du Vernazobres, entre les Avants-Monts du Saint-Ponais, et le chaînon rocheux le séparant de la plaine biterroise. "Saint-Chinian est
placé dans la situation la plus avantageuse, au milieu d'un vallon fertile, sous un climat d'une exceptionnelle douceur", selon la description de l'érudit local
Jean Miquel.
Le vallon du Vernazobre
L'origine du village remonte à la création en 826, à l'époque carolingienne, d'une abbaye bénédictine, dédiée à
Saint-Agnan, comme l'indique sa
charte de fondation par l'empereur Louis-le-Pieux, fils de Charlemagne. Contrairement à une erreur tenace, il n'a
jamais existé d'autre abbaye à Saint-Chinian !
Saint-Chinian est vraisemblablement resté longtemps un modeste village agricole, peuplé par une main d'oeuvre employée par les moines,
entouré par une enceinte primitive adossée à celle du monastère, et couvrant une superficie d'environ un demi hectare.
La rue droite, tracée au Moyen-Age A l'origine, l'église paroissiale est située au hameau de Saint-Cels. Durant la croisade albigeoise, au 13ème siècle, ce hameau aurait été détruit, ainsi que son église: "la chronique affirmant que les Albigeois n'avaient laissé que la porte et le porche qui la précédait" (2). Ce serait peu après cet événement que la chapelle Notre-Dame-de-Labarthe, au sein du village serait devenue église paroissiale. En 1318, Saint-Chinian est inclus dans le diocèse de Saint-Pons, nouvellement créé. L'abbé de Saint-Pons, Pierre Roger, en devient l'évêque. La prééminence de Saint-Pons sur Saint-Chinian sur le plan religieux puis administratif devient définitive à partir de cette date. Le long du Vernazobre En 1351, Pierre Boyer, abbé de saint-Chinian, accorde une charte aux habitants, leur permettant d'élire des consuls pour les représenter. L'octroi de ces libertés municipales survient au 14ème siècle dans un contexte d'organisation des communautés d'habitants en Languedoc, comme à proximité dans le Pardailhan, où le consulat est mis en place à la même époque, en 1380. Malgré cette charte, pendant plus d'un siècle, les difficultés s'accumulent entre les religieux et la population, et occasionnent de multiples procès sur de très nombreux sujets de contestation: "procès à l'occasion des herbages et pasturages du terroir, de la chasse des bestes et oyseaux sauvages, de la pêche du poisson, de la paissière estant en un ruisseau duquel les preds et les jardins en sont arrosés, encore à l'occasion des moulins tant de bled que de l'huile, du four, et pareillement des consuls et sur le gouvernement des habitants dud lieu, et de la queste, pension ou tailhe annuele ... et de plusieurs autres choses ..."(3).
Copie de la charte de 1465
Cette époque bien sombre voit se succéder épidémie de peste, chevauchée du Prince Noir, attaque et brigandage des Routiers. Ces troubles n'épargnent pas Saint-Chinian: "La ville ayant été prise et presque détruite en 1414 par les ennemis, on la fortifia et on l'entoura de murs. Les habitants, croyant avoir acquis par là, de nouveaux droits refusent aux religieux les redevances ordinaires et pillèrent même les domaines de la dépendance."
Devant ces difficultés, l'abbé Renaud de Valon est contraint, en 1465, de négocier un nouvel accord avec la communauté des habitants. Cette transaction donne lieu à
la rédaction d'une
charte, qui décrit
précisément les droits et les devoirs des habitants, avec des détails concernant par exemple
les vendanges ou la gestion du canal de l'abbé.
Rue Saint-Laurent, rive gauche du Vernazobre
Cette période de relative prospérité s'achève avec les conflits religieux de la fin du 16ème siècle. La réforme protestante est prêchée à Saint-Chinian au milieu du 16ème siècle. Une
communauté protestante tend à s'organiser autour de la famille de Bosquat, mais est vite réprimée.
Requête des protestants de Saint-Chinian, en 1562
En 1562, débutent les guerres de religion, qui vont embraser le pays tout entier, et particulièrement le Languedoc. En mai 1562, les huguenots prennent la ville de Béziers; le mois suivant, les protestants de Saint-Chinian sont brutalement réprimés: "Mathieu Vayssier, d'Olargues estant du nombre des tirans et papistes, avoit trouvé moyen ruyner l'église [protestante] de Saint-Chinian, faict prendre Jehan Brevet, viguier dudit lieu, lequel pour le faict de la foy il a fait exéquter despuys à mort, et faict mille autres mauls aux habitants [protestants] dudit lieu de Saint-Chinian ..." (5).
Le 29 septembre 1567, Saint-Chinian est pris par les troupes huguenotes, commandées par Claude de Narbonne, baron de Faugères, qui détruisent les édifices religieux,
comme à la même époque à Saint-Pons et à Fontcaude: " l'abbaye de Saint-Chinian a esté pilhée, le monastère et église parochelle arazés, les relligieux et prebstres tués".
(6) L'ancien cloître de l'abbaye de Saint-Chinian
Le village se remet lentement de ces destructions: l'église paroissiale est restaurée en 1585, et l'abbaye, désormais affiliée
à la congrégation de Saint-Maur, est lentement reconstruite;
c'est de cette époque que date le cloître, visible de nos jours, et achevé en 1630.
Le long du Vernazobres, quartier bâti à partir du 18ème siècle, reconstruit après 1875
Vers 1690, soutenue par Colbert et subventionnée par les Etats de Languedoc, une manufacture de draps est établie à Saint-Chinian d'abord dirigée par Noël de Varennes, déjà
directeur de la manufacture de draps des Saptes, qui apporte technique et savoir-faire.
Après sa mort, en 1692, la manufacture de Saint-Chinian est reprise par Augustin Magy marchand marseillais, fondateur de la Compagnie du Levant, destinée à exporter
les draps vers Constantinople et l'Empire ottoman. En 1705, c'est Etienne Roussel, d'une famille de drapiers saint-chinianais, qui rachète cette manufacture.
Métiers à tisser au 18ème siècle
A côté des deux manufactures royales de Saint-Chinian, une dizaine de marchands-fabricants produit des draps pour le Levant. Au milieu du 18ème siècle "presque tous les habitants de la dite ville, ainsi que des huit hameaux contenus dans le terroir sont occupés à diverses opérations de la fabrication" des draps, dans des ateliers dispersés, jusqu'au hameau de Cauduro, où on file "la laine en un filoir de 12 fileuses", (selon un mémoire de Pierre Astruc de 1741).
Le hameau de Cauduro produisait au 18ème siècle pour l'Empire ottoman Jusqu'en 1770, année de crise, la production
saint-chinianaise augmente régulièrement, atteignant alors près de 10.000 pièces. Une petite société bourgeoise émerge autour des familles Bermond, Dupoux,
Tricou, Fourcade, enrichies par le
négoce ou la fabrication des draps.
La manufacture royale des Ayres, sur le compoix de 1778 "Une maison dans le ville ditte la manufacture Royalle consistante en maison ..."
A la Révolution, l'abbaye est supprimée, et le chanoine Jacques Delpy de Saint-Geyrat, qui avait obtenu la commende quelques mois auparavant en est le dernier abbé. Le dernier évêque de Saint-Pons, Mgr Henri de Bruyères-Chalabre quitte son château de Saint-Chinian en 1790, et émigre quelques mois plus tard à Londres. Les biens du clergé sont vendus comme biens nationaux en 1791. La bourgeoisie saint-chinianaise parvient à garder le contrôle des institutions locales: le premier maire élu en 1790 est Victor Herménégilde Tricou (1753-1848), inspecteur des manufactures. Son successeur de 1791 à 1795 est Paul Joseph Tarbouriech (1758-1813), d'une très ancienne famille de notables du bourg, ci-devant seigneur d'Assignan, et apparenté aux fabricants de draps. Enfin, en 1795, c'est Joseph Martin lui aussi drapier, qui devient maire. Créée en 1793, la société locale des Jacobins ou "société populaire de Vernodure", comme s'appelle désormais Saint-Chinian, est aussi contrôlée par les familles bourgeoises. Ce qui n'empêche pas, le 9 mai 1793 l'assassinat de prêtres réfractaires du diocèse d'Albi, de passage à Saint-Chinian.
Durant la période révolutionnaire, les difficultés économiques s'accentuent avec la perte des débouchés commerciaux habituels vers le Levant, et
dès 1793 la production s'oriente vers la fourniture aux armées (9), mais ne retrouve pas jusqu'à la fin du Premier Empire son niveau antérieur.
Ancienne chaussée sur le Vernazobre de l'usine Tricou
A cette époque les fabriques de draps saint-chinianaises se mécanisent progressivement, se transformant en véritables usines, utilisant la force motrice hydraulique du Vernazobres: ce sont les usines Tricou, Vernazobres, Arnaud, l'usine Fourcade à Pierre-Morte avec sa manufacture, et les deux anciennes manufactures royales dirigées par les Flottes. En 1822, près de 660 ouvriers travaillent pour l'industrie drapière à Saint-Chinian, sur une population de 3059 habitants. La contestation ouvrière s'organise et culmine lors de l' opposition au Coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851: la mairie est occupée, le maire Victor Fourcade (1791-1868) fabricant et négociant de drap est chassé, comme le décrit le commissaire de police: "Samedi six du courant vers midi les anarchistes s'emparèrent de la mairie de St-Chinian, ils étaient armés de fusils de guerre, de chasse, sabres, pistolets, haches, broches, marteaux et autres instruments; leurs armes chargées, drapeaux rouges en tête avec un coutellas au bout, ils firent au son de la caisse plusieurs tours de ville, une proclamation fut lue au vivat de la République sociale".
Ancienne abbaye, résidence de Victor Fourcade en 1840, devenue mairie en 1855
Les deux décennies suivantes sont celles du déclin de l'industrie drapière à Saint-Chinian. La terrible inondation de 1875 qui détruit plus de 150 maisons et tue près de 100 habitants, anéantit aussi les usines situées près du Vernazobres et signe la fin de cette période industrielle. La viticulture, déjà développée depuis le milieu du 19ème siècle devient l'activité économique prédominante de Saint-Chinian. L'arrivée du chemin de fer à Béziers en 1857, puis la mise en service de la ligne Montbazin-Saint-Chinian en 1887 contribuent au développement d'une production viticole de masse, de qualité médiocre, mais devenue malgré la crise du phylloxéra, la principale source de revenu de la commune.
Saint-Chinian après l'inondation de 1875
La disparition de l'industrie textile entraîne la fin du pouvoir politique du petit patronat local, influent depuis le 18ème siècle et dont le dernier représentant
est Joseph Fourcade (1820-1903), député de droite de l'arrondissement de Saint-Pons de 1876 à 1878.
Rite républicain du 14 juillet: Marianne au balcon de la mairie de Saint-Chinian
En 1921, le territoire de la commune est amputé des hameaux de Babeau, Bouldoux, Donnadieu et Cauduro qui forment la nouvelle commune de Babeau-Bouldoux.
A l'inverse, les vignerons se regroupent et s'organisent en créant une
coopérative construite entre 1934 et 1939, dans un objectif de productivité et de commercialisation.
Vignobles à Babeau-Bouldoux La seconde moitié du 20ème siècle voit l'émergence d'une viticulture de qualité, récompensée en 1982 par l'obtention du label "AOC Saint-Chinian". Le bourg est désormais mis en valeur, avec notamment la restauration de l'ancien cloître, contribuant à accroître l'attrait touristique et patrimonial de Saint-Chinian.
Notes: |
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