Le transport de ces marchandises avait lieu dans la région Moussanaise soit à dos de mulet, soit par chariots, mais les
routes étaient en fort mauvais état.
Les gentilshommes verriers ne pouvaient selon l'opinion de certains auteurs vendre au détail ni hors de
leurs magasins, et les marchands devaient aller s'approvisionner à l'usine.
Il semble cependant que ce n'était qu'une prohibition de principe édictée par les assemblées de
Sommières, car la plupart des
lettres patentes ne font aucune différence de privilèges entre les gentilshommes
verriers, leurs empteurs, marchands et vendeurs en gros et en détail.
Remontons plus haut et nous voyons que les lettres patentes du Roi Charles (20 août 1438) disposent :
" que led supplicants et tous les autres maîtres verriers de notre royaume et leurs serviteurs, familiers et valets
demeurants et servants aux verreries tant de raison et de bonne coutume.
D'ancienneté gardés et observés notoirement
par privilèges à eux octroyés par nos prédécesseurs Roys de France que de tout temps sont et doibvent être exempts de
toutes tailles et aussi de tous aides, subsides et impositions coutumes, truages, barrages, chaussées et autres
quelconques redevances et exactions anciennes et nouvelles ayans fours en notre royaume au regard de leur fait
de marchandises de verrerie avec aussi tous marchands achetant verres tant d'eux que d'autres maîtres verriers et
ceux vendant en gros et en détail par tout notre royaume au regard desdits verriers doibvent pareillement être francs
et quittes des tailles, subsides, tributs, impositions, coutumes, truages et autres subventions quelconques sans que
au regard de la dite marchandise aucun … nos fermiers, péageurs, et autres quelconques leur doivent faire mettre ou
donnés, à cause de ce aucun de sortie ou empêchement et il soit ainsi qu'il est nécessaire aux suppliants, ses valets,
ses serviteurs et aussi merchants de verres et les transporte en divers lieux en nostre royaume et exercer lad.
Marchandise de verres, mais doutans des impositeurs ou fermiers des subsides ou redevances ou aucuns, ceux ignorants
de la coutume les vouloir contraindre à payer aucune chose d'iceux subsides"
Ces dispositions montrent bien que le marchand de verre, tout comme le maître verrier jouissait de certaines exemptions
d'impôts et de certains privilèges.
Il nous faut signaler le conflit qui s'éleva entre noble Marc de Robert, sieur de la Garrigue, gentilhomme verrier aux
Verreries de Moussans, et les commis des Leudes du doublement de Béziers qui lui avaient arrêté cinq charges de bouteilles
à mettre des liqueurs, que noble Marc de Robert faisait conduire à Béziers.
Les commis avaient exigé au lieu-dit Sainte-Colombe trois livres à titre de consignation.
Marc de Robert adressa une supplique à Monseigneur de Basville conseiller d'Etat ordinaire, intendant de justice,
police et finances en Languedoc.
Après un long procès, la thèse de Marc de Robert triompha et nous relatons ci-dessous les conclusions du jugement :
"Vu les requêtes respectives, l'arrêt du Conseil d'Etat, le jugement de Messieurs les Commissaires du 4 décembre 1669, ensemble les autres pièces.
Nous ordonnons que le sieur de Robert de la Garrigue demeure déchargé du doublement du péage et leude pour lequel il
a consigné trois livres.
Fait à Montpellier le 11 février 1714.
De Lamoignon"
Il nous faut aussi signaler l'ordonnance du sieur de Bezons, intendant du Languedoc du 4 décembre 1669, par laquelle mainlevée est accordée au sieur de Laroque, de la saisie de quatre charges de verre saisies à la requête de Jean Rivière, fermier du droit de leude et péage du lieu de Ste-Colombe. Les fermiers sont condamnés aux dépens par le Juge de la Connétablie de Bordeaux en … 1681.
Mentionnons aussi à titre documentaire les lettres patentes de Louis XIV en décembre 1655, portant confirmation "en
faveur des gentilshommes verriers de la province de Languedoc et de leurs compteurs marchands en gros et en détail menant
et conduisant les marchandises dont est composé le verre, de tous leurs privilèges et qu'ils seront affranchis quittes
et exempts du payement de toutes tailles, aides, subsides, impositions, coutumes, rouages, barrages, chaussées,
pontonnages et de tous autres droits, péages et charges tant anciennement que nouvelles ayant cours dans le royaume" (enregistré à la cour des comptes aydes et finances à Montpellier le 15 décembre 1656) … "à la charge de contribuer aux tailles et deniers royaux suivant leurs compoix et allivremens, attendu que les tailles sont réelles en Languedoc".
Enfin, les lettres patentes de Louis XV, données à Versailles en août 1727 (enregistré au contrôle général des finances
le 2 novembre 1727) confirment les dits privilèges "pourvu toutefois que les dites franchises et exemptions n'aient
esté révoquées par aucun édit, déclarations et arrest".
Les marchands de verre qui allaient de Moussans dans les villages les plus reculés de la Catalogne, de l'Auvergne, de
la Gascogne écouler les produits fabriqués formaient de véritables dynasties.
Citons les Cauquil, les Daïdou, les Molinier, les Fabre, dont la plupart ont encore des descendants qui continuent
le métier familial.
Les routes étaient à peine tracées et peu sures, ils organisent des convois de deux, trois chariots pour pouvoir
se prêter aide et assistance en cas d'accident ou de danger.
Surtout, à l'époque des guerres religieuses, leurs chargements devenaient à tour de rôle la proie des troupes catholiques
ou des troupes protestantes.
La vente des divers articles avait lieu soit au poids, soit au panier, soit au comptage (par douzaine généralement).
Le registre de la verrerie de Pondelay, en Couserans, de 1740 à 1779 nous donne des indications sur les prix pratiqués dans
le Languedoc :
"Thomas Manaud doit ce qu'il a pris : deux quintaux neuf livres de bouteilles à vingt livres le quintal, le 22 février
1743.
François Doumerc, du Bosc en Fabas, doit ce qu'il a pris du 9 avril 1743, deux quintaux seize livres de bouteilles à vingt
livres le quintal.
François Montauriol , de Thane en Fabas, a pris soixante huit grosses topettes (flacons à large goulot).
Raymond Montauriol a pris vingt grosses d'abreuvoirs et soixante quatorze grosses de gobelets" - 1744.
Dans la généralité de France, le prix du verre en 1738 était de vingt neuf livres le panier de fin et de vingt six livres le second choix
On peut dire d'une façon générale que les verres de gobeleterie se vendaient par faix ou faïsse. En 1573, le prix des verreries communes était de seize sols tournois par faix.
En 1660, la communauté de Millau paie à François Vernhette dix sols pour deux flacons de verre qui se sont rompus, de douze qu'il avait prêtés pour mettre du vin clair pour envoyer au logis de l'intendant.
Le pouvoir royal s'occupa de réglementer la liste des objets que l'on pouvait fabriquer en verre par l'arrêt du conseil d'Etat de 1688 (29 mai). Par cet édit, on augmente les droits d'entrée et de sortie du royaume sur les verres de toutes sortes :
Le verre cassé paie 20 sols par baril;
Le verre à vitre paie 12 livres par faix;
Les verres à boire 10 livres du cent pesant.
Ce fut Henri IV qui, le 20 mars 1600 donna les premiers statuts aux marchands de verre. En 1658, ces statuts furent refondus et divisés en 36 articles.
En 1706, les marchands verriers, maîtres couvreurs de flacons et bouteilles en osier, faïences et autres espèces de marchandises de verre furent réunis aux "maistres émailleurs de Paris".
A côté de la caste des gentilshommes verriers s'était développée celle des marchands de verre.
Le 8 mars 1735, il y eut une déclaration du roi portant règlement pour la fabrication des bouteilles et carafons : "la mauvaise préparation dont ils sont composés cause la corruption des vins et liqueurs … la matière vitrifiée servant à la fabrication des bouteilles et carafons destinés à renfermer les vins et autres liqueurs sera bien raffinée et également fondue, en sorte que chaque bouteille ou carafon soit d'une égale épaisseur dans toute sa circonférence. Chaque bouteille ou carafon contiendra à l'avenir .. pinte, mesure de Paris et ne pourra être au-dessous du poids de vingt cinq onces, les demis et quart à proportion, quant aux bouteilles ou carafons doubles, et au-dessus, ils seront aussi du poids proportionné à leur grandeur."
Le 20 décembre 1740, il est même défendu à Thévenot du Vivier, entrepreneur des verreries d'Orléans et de Foy aux Loges de fabriquer des bouteilles dont la contenance, la jauge et le poids ne seraient pas réglementaire.
C'est à l'époque de la toute puissance des corporations soumises à la réglementation la plus étroite dans l'intérêt des consommateurs à qui il fallait livrer une marchandise correspondant à leurs désirs.
Il ne faut pas trouver exorbitante cette exigence de la contenance exacte, car de nos jours encore, l'administration des contributions indirectes cherche souvent noise aux distillateurs et aux parfumeurs et par ricochet aux verriers pour obtenir des bouteilles à contenances rigoureusement exactes.
La vente de certains objets, tels les pourrons catalans, les servantines, les urinaux, les lisses etc…, se faisaient encore au poids dans le Lyonnais et dans notre région, il y a seulement une quinzaine d'année. Ce procédé tend de plus en plus à disparaître.
Une des caractéristiques des marchands de Moussans, c'est qu'après avoir vendu les objets de verrerie dans les lointaines agglomérations, ils prenaient un fret de retour, en revenant au pays natal.
Ceux qui allaient en Catalogne et en Roussillon rapportaient des vins et des primeurs, mais aussi quelquefois du salicor, denrée précieuse pour les maîtres verriers de Moussans.
Ceux qui allaient en Gascogne, rapportaient de l'alcool, des objets manufacturés qui se fabriquaient dan la région de Toulouse.
Cet échange de produits entre localités augmentait le bien-être des populations car ils revenaient à meilleur compte.
Après avoir vu comment se faisaient les objets de verre, comment ils étaient mis à disposition du consommateur,
il nous faut étudier comment les gentilshommes verriers étaient rémunérés de leur travail.
"
Francis de Riols de Fonclare |