Saint-Pons-de-Thomières et le Pays Saint-Ponais
Histoire et patrimoine de l'ouest du département de l'Hérault

Villespassans

Villespassans est un village languedocien situé dans les coteaux du Saint-Chinianais, entre les bourgs de Cruzy et Saint-Chinian. Surmontée par la tour de son château, laissant deviner l'emplacement de ses anciennes murailles, la petite localité entourée d'un paysage de vignes et de garrigues garde beaucoup de charme, malgré de récentes constructions pavillonnaires. Le territoire du village comprend également le château de Castigno, ancienne grange de l'ordre de Malte, et le domaine de Combebelle.

Villespassans
Le village de Villespassans

La première mention du château de Villespassans remonte à 1180, dans un acte du cartulaire de Saint-Nazaire de Béziers.

La famille féodale de Villespassans est connue dès le 12ème siècle par des documents d'archives, qui démontrent son influence locale, l'importance de ses possessions, et ses liens avec les vicomtes de Trencavel et de Narbonne. Ainsi est mentionné en 1148 pour la première fois Bérenger de Villespassans. Durant la Croisade des Albigeois, la famille préserve son fief de Villespassans, même si certains de ses membres se sont opposés aux croisés et au moins l'un d'entre eux, Pierre de Villespassans, déclaré faidit et dépossédé de ses terres. Jusqu'à la fin du 14ème siècle, les Villespassans conservent le domaine dont ils portent le nom, le dernier connu étant Léger de Villespassans.

Au 12ème siècle, le fief de Castignan (Castigno) appartient à l'abbaye de Quarante, qui le cède par un acte de 1182 au commandeur de Capestang, de l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem . Ces Hospitaliers de Malte détiennent la grange de Castignan, jusqu'à la Révolution de 1789. Près de Castignan, se situait l'église rurale Saint-Michel-de-Castignan, signalée en 1262, dépendant du chapitre de l'abbaye de Quarante.

La famille de Brettes, originaire de Cruzy, possède le fief de La Linquière, acquis en 1293 par Bérenger de Brettes, et conservé par ses descendants pendant plusieurs siècles.

Dès le 13ème siècle, et sans doute avant, les droits de justice de la seigneurie de Villespassans, appartiennent aux vicomtes de Narbonne: "comme il paroist par l'hommage rendu au Roy Philippe, le onziesme juin mil deux cent soixante onze par amalric et aymeric vicomtes de Narbonne". La seigneurie reste détenue par la famille des vicomtes de Narbonne jusqu'en 1344. A cette date, Pierre de l'Isle et Tiburge, vicomtesse de Narbonne, veuve d'Aymeric de Narbonne la vendent au roi. Les habitants de Villespassans s'acquittent du prix d'achat de 405 livres, afin que la seigneurie soit déclarée inaliénable du domaine royal. Cette clause permet d'éviter aux habitants de subir le pouvoir d'un seigneur particulier et sera respectée pendant deux siècles.

Tour de Villespassans
Tour du château de Villespassans"

En 1543, le roi François 1er est contraint pour des raisons financières de procéder à des ventes du domaine royal, notamment de la seigneurie de Villespassans, qui est acquise par François et Gabriel de Verzeille tous deux seigneurs de Bize et coseigneurs d'Agel, associé à Pierre de Narbonne, seigneur de Loupian. Le fils de ce dernier, Alexandre de Narbonne, cède ses droits de seigneurie de Villespassans en 1565 à Jean Douzon, magistrat de Béziers, qui prend le nom de Douzon de Villespassans.

Villespassans
Vente des droits de "haute Justice moyenne & basse et part d'icelles que le roy prend au lieu & terroir de Villespassans "

Les guerres de religion de la fin du 16ème siècle n'épargne pas Villespassans. Dès 1567, puis en 1578, Saint-Chinian et son abbaye et les environs sont occupés et pillés par les troupes protestantes. En 1585, le duc Henri de Montmorency soumet par les armes plusieurs villages, dont Cruzy et Villespassans, et parvient ainsi à contenir dans le Narbonnais les troupes de la Ligue du duc de Joyeuse. Ces dernières reprennent Villespassans et les villages environnants en septembre 1590. Fin octobre 1590, le duc de Montmorency s'est à nouveau rendu maître de l'ensemble de ces villages, dont Villespassans, et repousse les Ligueurs jusqu'à Azillanet et Quarante. Cette guerre de position se poursuit jusqu'à la trêve de 1592.

En 1587, le seigneur Jean Douzon de Villespassans, alors président et lieutenant général de la sénéchaussée de Béziers est accusé par le duc Henri de Montmorency d'avoir tenté de livrer la ville aux Ligueurs du duc de Joyeuse. Il est alors assassiné, son corps exposé en place publique. Sa veuve Anne d'Olive d'Abeilhan devient seigneuresse de Villespassans. Au décès de cette dernière, Villespassans est transmis à Gabriel de Cabrerolles, qui prend le nom de Cabrerolles de Villespassans.

Villespassans
Le village de Villespassans

Dès le milieu du 16ème siècle, les Villespassanais s'opposent à ces seigneurs particuliers: ainsi en 1558, les habitants tentent en vain de racheter les droits seigneuriaux pour confier la seigneurie au domaine royal. En 1576, le Parlement de Toulouse leur donne raison et confirme l'appartenance de la seigneurie et des droits de justice au roi; mais l'année suivante, Jean Douzon parvient à la racheter ! Les procédures judiciaires se succèdent concernant l'étendue des droits seigneuriaux et du domaine direct du seigneur en 1609, 1625, 1636, 1645, avant de parvenir à un compromis entre le seigneur et les habitants.
Ces différents contentieux permettent de comprendre l'organisation seigneuriale complexe du village, avec d'une part la seigneurie qui ne comprend que les droits de justice haute moyenne et basse, vendue par le domaine royal avec faculté de rachat, et d'autre part, le principal fief avec sa basse justice et ses droits seigneuriaux qui s'appliquent sur une partie de la Terre de Villespassans.

Villespassans
Le compoix de Villespassans : "Monsieur de Villespassans, coner du Roy en ses conseils ..."

Au milieu du 17ème siècle, la seigneurie est transmise par héritage à Henri de Cabrerolles de Villespassans (1628-1683), conseiller au Parlement de Toulouse, et allié à l'influente famille toulousaine des Bertier, ce qui lui permet d'obtenir des lettres patentes du roi érigeant Villespassans au titre de baronnie, en 1679.
Le compoix de 1669 permet d'imaginer le village entouré d'une muraille protégeant une dizaine de maisons avec leurs cours, écuries et bergeries, l'église et son cimetière. C'est vraisemblablement Henri de Cabrerolles de Villespassans qui aménage le château à la fin du 17ème siècle, peut-être à partir d'un bâtiment acheté à Gaspard de Verdiguier.

Villespassans
Le château de Villespassans

En 1684, le fils aîné, Joseph Marie de Cabrerolles de Villespassans (1651-1738), succède à son père, comme baron de Villespassans, seigneur d'Assignan et comme conseiller au parlement de Toulouse. Il est d'abord évincé de la seigneurie de Villespassans par le domaine royal et ne conserve que le fief comprenant certains droits seigneuriaux et la basse justice. En 1699, il passe une transaction avec les consuls de Villespassans, confirmée par un jugement en 1704, par laquelle ils lui reconnaissent les droits de justice et le règlement des droits seigneuriaux de 200 livres par an, en contrepartie il s'engage à ne pas réclamer les arriérés qui lui sont dûs.
En 1712, Joseph Marie de Cabrerolles de Villespassans est arrêté dans son château de Villespassans, accusé de faux-monnayage, emprisonné puis relâché grâce a son réseau de protection familiale, contrairement à ses complices lourdement condamnés.
Les conflits persistent avec les Villespassanais, concernant le payement des droits seigneuriaux, avec une nouveau procès intenté en 1718 par Etienne Audebaud consul de Villespassans pour s'opposer au jugement de 1704 et refuser de payer la somme de 200 livres annuelle. En 1720, lors d'un nouvelle procédure, Joseph Marie de Cabrerolles de Villespassans se plaint qu'à Villespassans, "l'esprit mutin, séditieux et rebelle de ses habitants a toujours régné dans cette communauté".

Villespassans
Libelle de Joseph Marie de Cabrerolles de Villespassans

Après son décès en 1738, son neveu François Joseph de Portes de Pardailhan (1701-1759) est l'héritier de la seigneurie, qu'il vend en 1748 à Jean Jacques de Mahieu (1707-1764), un officier aux gardes françaises. Les relations du nouveau seigneur avec les habitants sont détestables, au point qu'une véritable émeute éclate dans le village en 1751, lors de la tentative d'arrestation de Jean Poux consul du village.
Le fils aîné, Stanislas de Mahieu (1748-1823), hérite du domaine de Villespassans, et d'un patrimoine chargé de dettes. Il revend vers 1780, la seigneurie et le château à Jean Augustin Jullien (1753-1841), bourgeois de Saint-Chinian, négociant en drap et fils d'un receveur des tailles du diocèse d'Agde.

A la Révolution de 1789, le ci-devant seigneur, qui se faisait appeler Jullien de Villespassans déclare notamment "un château, basse-cour et un tinal, qui ne rapportent rien, mais qui sont d'une grande dépense pour l'entretien et les réparations, car ils ne sont pas habités"; il reste propriétaire de son petit domaine foncier, que sa famille conserve plusieurs décennies.
L'abolition de la féodalité entraîne la suppression du fief de La Linquière "consistant tout en garrigues et vacants" aux revenus seigneuriaux dérisoires, et appartenant aux Terral, bourgeois de Cruzy (apparentés aux Andoque), qui perdent leur titre ronflant de seigneurs de La Linquière ! Enfin, le domaine de Castignan, grange de l'Ordre de Malte est vendu en 1794, comme bien national.

La mise en place des nouvelles institutions et notamment de la municipalité est difficile en l'absence de lettré dans la commune : Antoine Tarbouriech, le premier maire de 1792 à 1800, ne sait pas signer et pose une simple marque sur les actes, et le greffier rédige et signe les documents municipaux en indiquant que "la municipalité est illettrée".
En 1810, c'est Jean Damase de Facieu, marié à la petite nièce du dernier seigneur, et n'habitant pas le village, qui est désigné comme maire, jusqu'en 1813.
En 1812, un rapport administratif décrit le village en situation de précarité : "... les habitants de cette commune sont tous pauvres. La plus affreuse misère règne dans l'intérieur de leur maisons. Pour fournir à leur nourriture et à celle de leur famille, ils sont obligé d'ensemencer une grande étendue de terrain parmi les rochers dans les pâtures communales. Ces défrichements ne produisent qu'une faible récolte ... Leur unique industrie consiste dans l'extraction de la racine du chêne vert épineux qu'ils trouvent dans les garrigues et dont l'écorce sert à faire le tan ..."

Tour de Villespassans

Ces difficultés font même envisager en 1816 la suppression de la commune et sa fusion avec celle d'Assignan, projet finalement abandonné en 1820.

A partir de 1821, c'est Pierre Decamps le nouveau châtelain du village qui est nommé maire, jusqu'à la Révolution de 1848.
A cette époque, le mouvement socialiste émerge dans la région, comme le montre cette manifestation dans le village de Villespassans : en avril 1850, des "jeunes gens de la commune se sont promenés dimanche dernier, depuis deux heures de l'après-midi jusqu'à la nuit, dans le principal village de Villespassans en exhibant sur leurs casquettes ou leurs chapeaux des cocardes rouges et des lambeaux d'étoffes de la même couleur. Ils accompagnaient cette exhibition de chants qui se terminaient par les cris de Vive les rouges, à bas les blancs !", comme le rapporte dans une plainte l'ancien maire Pierre Decamps.

Dans les premières décennies du 19ème siècle , l'activité économique de la commune repose encore sur la polyculture et l'élevage avec 336 ha de terres labourables, près de 876 ha de pâtures, et seulement 71 ha de vignes (cadastre de 1833). La viticulture va se développer après 1850, contribuant à enrichir la commune, avec au début du 20ème siècle, une surface viticole qui a quintuplé atteignant 321 ha en 1914, les terres labourables étant réduites à 31 ha.

Villespassans
Le vignoble à Villespassans

Villespassans est aujourd'hui un petit village viticole, d'environ 150 habitants, à l'extrême ouest de territoire de l'appellation Saint-Chinian, produisant désormais un vin de qualité.

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