La région de Saint-Chinian est touchée par les grêves à l'automne 1781.
Elle subit le contrecoup de la crise que traverse la draperie languedocienne, atteinte de plein fouet par la concurrence anglaise et la fermeture
des marchés du Levant, acheteurs traditionnels des fameux "londrins" et "demi-londrins" fabriqués ici.
Les commandes se raréfient, le "pause" devient presque générale dans
ce grand bassin industriel qui employait plus de deux mille travailleurs.
La misère est là, mais les ouvriers refusent la réduction des tarifs. Les fabricants, furieux et impuissants, décrivent le scénario dans la lettre qu'ils adressent à l'intendant de
la province : "On a vu, Monseigneur, ces soit-disant syndic et adhérents se rendre publiquement chez tous les
tisserands de la ville et les forcer à suspendre leurs ouvrages et fermer leur ateliers. Ceux des tisserands qui refusent d'adhérer au complot [...] étaient troublés dans leurs
propres boutiques par des compagnons envoyés de le part desdits syndics qui couraient d'atelier en atelier, tantôt enlevaient les outils nécessaires
au tissage, tantôt armés de bâtons et de pierres tentaient de démonter les métiers et se portaient à l'extrémité de forcer et enfoncer les boutiques des ouvriers qui étaient
à travailler, et qu'ils forçaient par de pareilles violences à quitter leurs ouvrages".
Des réunions de grévistes se tiennent dans l'église paroissiale pour réclamer 30 sols de plus par pièce de drap. Ce ne sont partout "qu'assemblées sans autorité légitime,
voies de fait, actes de violence et esprit de sédition".
Quatre ou cinq leaders sont appréhendés et conduits à la citadelle de Montpellier, mais leur arrestation relance les troubles.
Le curé de la ville, l'abbé Massip, leur délivre un certificat de bonne conduite et prend la défense des autres compagnons : "Il est facile aux puissants de criminaliser un petit [...]. Tout
leur crime est de ne vouloir pas travailler à un prix avec lequel ils ne peuvent vivre,
et d'engager en parole seulement quelques-uns de leurs confrères à les vouloir imiter ...". Propos hautement subversifs aux yeux du subdélégué [Magloire Vidal],
très monté contre le prêtre qu'il accuse d'exciter les tisserands: il "gouverne à son gré leur confrérie,
leurs marguillers, leurs affaires", en un mot, c'est "leur conseil et leur maître".
La grève s'achève à la mi-octobre à l'annonce de la libération des détenus, mais il apparaît aux autorités que la plupart des tisserands
"persistent dans la confédération qu'ils ont faite".
La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789) -
Par Jean Nicolas