Votre père vous est enlevé, mes chers Enfants, à l'âge et dans des circonstances où ses soins, ses instructions, je puis le dire aussi, ses exemples vous étaient le plus nécessaires.
Cette idée est ce que j'éprouve de plus pénible dans la déplorable situation où je suis. Mon inquiète sollicitude sur votre avenir me poursuit à chaque instant. Puissé-je au moins lier au
tendre souvenir que vous me conservez sans doute quelque avis salutaires qui vous rappellent dans tous les temps aux sentiments vertueux qui seuls feront votre bonheur !
Ms yeux se mouillent de larmes en voulant vous parler de votre mère. Mon coeur déchiré ne peut
supporter l'impression de tout ce que je lui fais souffrir. Ah ! pourriez-vous cesser un instant dans
votre vie d'être occupés de lui procurer toutes les consolations dont elle a tant besoin ? Non, vous
n'oublierez jamais le bonheur que votre Père a goûté
près d'elle, la nourriture qu'elle vous a donné de son sein, les souffrances qu'elle a bravées, tous les
plaisirs dont elle s'est sevrée pour se livrer tout entière aux soins pénibles de votre
premier âge. Si votre conduite lui donnait le plus leger chagrin, vous seriez les plus dénaturés des êtres,
et la mésestime publique ne cesserait de vous poursuivre, comme le désir constant de lui plaire et votre culte
reconnaissant envers elle seront guide le plus sûr pour vivre vertueux et honorés,
Rendez-vous dignes de la tendresse de vos Oncles. Leur bon coeur et leur esprit éclairé vous aideront et
vous dirigeront dans les circonstances difficiles de votre vie. N'entrepenez rien sans recourir à leurs conseils et
puissiez-vous ne jamais rien faire sans avoir leur suffrage.
Vivez toujours unis entre vous. Que le bonheur de l'un se répande sur les autres; que les peines
soient avec le même intérêt partagées. Cette union intime sera pour vous la source la plus féconde de
jouissances et même de considération de la part de vos concitoyens. Les affections étrangères peuvent répandre
quelques fleurs passagères sur
notre existence, mais rien n'gale le charme toujours renaissant de l'amitié réciproque des membres d'une
même famille.
Stéphanie a déjà assez d'âge, de sensibilité et de raison pour aider sa mère dans les détails du ménage et les
soins à donner à ses petits frères et soeur. Elle ne tardera pas à s'apercevoir de la satisfaction que l'on
goute à s'occuper de choses utiles.
Que le soin de sa toilette se borne à se tenir proprement. Toute recherche de parure, lorsqu'on est dans
l'infortune, est aux yeux
du public un sujet de blâme et de ridicule. Qu'elle soit surtout en garde contre la vivacité de son esprit,
et s'abstienne de tous propos
malins; ils laissent des regrets trop amers. Ce n'est que par la bonté de son caractère, la simplicité des
manières, la sagesse du maintien,
le goût du travail, l'habitude et l'intelligence de l'économie, qu'elle songera à se faire remarquer, ainsi
que par sa piété filiale pour la respectable mère qu'elle a l'honneur d'avoir pour modèle.
Mon cher Hippolyte se livrera avec encore plus d'ardeur à l'étude : il aspirera à se rendre un
jour utile à sa mère et à ses soeurs. C'est la prérogative la plus
précieuse de l'aîné d'une famille. Dans le choix d'un état, je désire qu'il préfère le négoce ou quelque art libéral ou mécanique, à toute espèce d'emplois.
Qu'il évite surtout ceux qui pourraient lui donner de l'autorité sur ses concitoyens. Quelque bien qu'on y fasse, on ne saurait se flatter de s'y maintenir à l'abri de la malveillance
de ces êtres jaloux qui conspirent sans cesse contre tout ce qui est au-dessus d'eux.
C'est vous dire assez, mes chers enfants, que si dans votre carrière, vous obtenez quelques succès, vous
ne sauriez être attentifs à en tempérer l'éclat par votre modestie.
Sans cette précieuse qualité, il n'en est point d'aimables et seule elle pourra vous garantir de la lutte de l'amour propre d'autrui, plus dangereuse encore que celle de l'intérêt.